WebTV, à vous les studios Peu coûteuses, les petites chaînes militantes ou thématiques qui fleurissent sur le réseau permettent à tout un chacun de devenir producteur d'émission. Par Stéphane Arteta et Rémy Fière Le 30 avril 1999 |
Petit bouquet
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tre
pésent sur le réseau dès aujourd'hui, ou rester le nez dans
la poussière.» Le message est clair. Il a même été
largement diffusé la semaine dernière à Las Vegas, lors de la
conférence de la National Association of Broadcasters consacrée à
la diffusion en ligne de programmes télé ou radio. Pour Rob Glaser,
patron de RealNetworks, «le futur de la diffusion de programmes ou de chaînes
sur le Net est le futur de la diffusion télé». Et la multitude
de petites chaînes militantes ou hyperthématiques qui proposent sur
le Net une télévision d'un nouveau genre sont déjà là
pour le prouver. L'antenne des minorités. L'Amérique montre la voie, évidemment. Depuis quelques années déjà. Pseudo.com, née en 1994, prouve même qu'il est possible de durer. Dans son sillage, d'autres WebTV ont réussi à s'imposer, en proposant une alternative à la télévision de papa. «Stuff you can't see on TV» (ce que vous ne pouvez pas voir à la télé), clame The Sync, chaîne très en vogue auprès des jeunes internautes locaux. Pas très finaud, mais ça marche. Snackboy, un one man show comique, ou Cyberlove, un talk-show chaud, sont les émissions phares du site. Un foisonnement qui rappelle celui des radios libres modernes, il y a près de vingt ans. La chaîne américaine Freespeech l'a compris: en ouvrant son antenne aux minorités, avec des émissions très décalées, elle s'est emparée d'un espace médiatique plus libre que la télévision classique. Et la France emboîte le pas. Des pionniers s'approprient en force ce nouveau mode de communication, comme si tout un chacun pouvait devenir patron de sa chaîne, producteur, animateur, journaliste et reporter, ou tout à la fois. Ainsi, ce samedi, Progress TV, une entreprise de télévision en ligne, lancera Music TV, une chaîne musicale uniquement diffusée sur le réseau. La société, installée à La Plaine-Saint-Denis (Seine-Saint-Denis), ne compte que trois employés, qui «bossent comme des fous» et ne dorment plus «depuis trois jours». Auteur de cette confidence: Jean-François Reveillard, l'un des membres de ce trio insomniaque. Public ciblé. Seulement, qui dit diffusion de programmes suggère aussi audience. Combien de spectateurs suivent ces émissions? Et y a-t-il un public pour ces chaînes? On pourrait en douter, d'autant que, malgré les progrès technologiques incessants, la qualité de la diffusion est encore loin de valoir celle des chaînes traditionnelles (lire page II). Pourtant, Medecine Net TV, l'autre chaîne de Progress TV, est la preuve qu'en la matière, l'offre a créé la demande. Le menu de cette chaîne médicale francophone, lancée en septembre 1998, n'a rien qui puisse passionner les foules: des reportages sur la transplantation duodéno-pancréatique ou des débats sur les œsophagites peptiques. D'abord, on rigole et on se dit qu'un programme aussi excitant a dû attirer, grand maximum, deux internautes égarés sur le site un soir de cuite. Erreur. Medecine Net TV revendique 45 000 visites depuis sa création, et 3 600 hits en une seule journée pour une conférence milanaise sur la myopie, en janvier. Encourageant: cette WebTV à l'accès gratuit a élargi son cœur de cible (les médecins) sans publicité, ou presque. Et comblé ceux qui ne trouvaient pas de telles émissions à se mettre sous les yeux, même sur le câble. Car c'est l'autre intérêt de cette floraison de chaînes. Peu coûteuses (pour posséder une WebTV, il suffit de s'équiper d'ordinateurs et d'une caméra, et de payer l'hébergeur). Elles sont même, dans certains cas, gratuites. Même si, par exemple, Medecine Net TV, malgré un budget mensuel moyen dérisoire (80 000 F environ), ne gagne pas encore d'argent, Jean-François Reveillard est certain que cela ne durera pas, que le salut de sa chaîne viendra du sponsoring. Ainsi, l'émission sur le congrès de Milan sur la myopie, d'un «coût délirant», a pu se faire grâce à un partenariat avec un fabricant de lentilles de contact. Un studio gratuit. Chez Canalweb, chaîne plus généraliste qui propose déjà près d'une trentaine de programmes, le procédé est différent. La structure créée par Jacques Rosselin, installée rue Cognacq-Jay, clin d'œil aux pionniers de la télévision, se veut «opérateur de télévision interactive sur le Web». Et se rémunère grâce à des activités plus institutionnelles (retransmission de conseils d'administration, ou de conférences). En contrepartie, elle offre gratuitement son studio numérique à ceux qui en font la demande. «On leur donne trois quarts d'heure d'émission de type talk-show contre un pourcentage de coproduction, qui se monte à 50 %, si un jour les images peuvent être revendues», explique Jacques Rosselin. Près d'une trentaine de chaînes très ciblées sont déjà à l'antenne. De Laurent-Laurent et son salon de coiffure philosophique (lire ci-dessous) à Yann Rudler qui propose Comix Strip, une émission hebdo sur la bande dessinée. Tous convaincus, comme Véronique Hillereau qui anime TVernissage, une émission sur l'art contemporain, que, d'une part, «on fait ce que plein de gens feront dans deux ans» et que, d'autre part, «on donne la parole à des gens qui ne l'ont pas ailleurs». |
Images saccadées, son crachotant... L'Internet n'assure pas encore une qualité de diffusion suffisante. Par Florent Latrive La qualité de la télévision sur l'Internet est encore pitoyable. Très à l'aise lorsqu'il s'agit d'acheminer des e-mails à l'autre bout de la planète et sans obligation de délai, le réseau peine à assurer un niveau correct pour la vidéo. Que l'on en juge: le format le plus répandu aujourd'hui, celui du logiciel RealPlayer, fournit une image de 3 cm sur 4, rafraîchie 10 fois par seconde, contre 25 fois pour la télé. Le son crachote, et, parfois, la bobine du présentateur se gèle, ou se transforme comme sous l'effet d'un morphing cauchemardesque. Bref, une qualité très inférieure à celle de la télé classique. «Regarder un film de trois heures sur le Net, ce n'est pas jouable», admet Frédéric Durand, le directeur de RealNetworks pour l'Europe du Sud. «Mais c'est un mode de diffusion adapté aux clips, aux bandes-annonces ou aux discours du pape.» Premier écueil: le débit sur le réseau. Là où une chaîne de télé numérique nécessite entre 2 mégabits par seconde (2) (quand l'image n'est pas très animée, comme sur Canal Assemblée) et 10 Mbps (pour une descente de ski par exemple), la vidéo sur le Net n'offre que 30 kilobits par seconde en moyenne. Soit une qualité de 70 à 350 fois inférieure. La vidéo souffre aussi du mode de fonctionnement de l'Internet, où aucun mécanisme ne garantit un débit constant. Ainsi, la qualité varie selon l'encombrement des tuyaux et le nombre de personnes connectées. Pendant très longtemps, à la moindre chute de débit, le logiciel RealPlayer abdiquait. Et l'internaute se retrouvait devant un écran vide. Avec la nouvelle génération (appelée G2), le logiciel s'adapte à ces caprices. Quitte à laisser l'image se transformer en tas de pâtés informe et le son devenir inaudible. Tous ces défauts devraient disparaître dans les années à venir. Les débits sur l'Internet augmentent rapidement. Il y a à peine quatre ans, l'idée même de diffuser de la vidéo sur le réseau semblait inconcevable. Et, d'ores et déjà, les internautes qui accèdent au réseau via le câble peuvent profiter des télés sur l'Internet dans des conditions plus satisfaisantes. De plus, les évolutions techniques de l'Internet vont permettre de garantir des débits constants. Selon Frédéric Durand, l'image du téléviseur et celle de l'ordinateur seront comparables «dans cinq à dix ans». 1) Les bits par seconde (bps) sont aux débits de données ce que les km/h sont à la vitesse. Un mégabit/s (Mbps) équivaut à 1 million de bps, et un kilobit/s (kbps) à 1000 bps. |
«Contrebalancer la télé classique» Par Stéphane Arteta «Mais qu'est-ce qu'ils font les jeunes?» Ce n'est pas Mam' Trochu, la voisine de palier qui vient de se faire tirer son sac par des sauvageons, qui vous interpelle, mais le titre d'une émission de Pascale Noiset, reporter pour La Citoyenne, une Net TV qui veut faire de la place à «une parole alternative et citoyenne» sur le réseau. Pas irascible pour un sou, cette femme de 45 ans, passionnée et engagée, séduit par sa douceur. Elle pourrait être la Mireille Dumas du Web, lorsque, pour son autre émission Paroles de femmes, elle soumet à la question une invitée en tête à tête. Mais montrer la sienne n'est pas son truc. Caméra numérique au poing, elle préfère écouter et relater l'autre. La «vraie» télé, elle s'en fout un peu. Trop de contraintes. On dit que le petit écran change ceux qui s'y bronzent. «Il faudrait que la télé change pour que ça me motive», dit-elle. Lors d'une réunion sur le thème de la citoyenneté, elle rencontre François Manceaux, responsable éditorial de La Citoyenne. A l'époque, elle ne connaît rien au Web. Aujourd'hui, elle est l'une des sept reporters de la chaîne. Pour Mais qu'est ce qu'ils font les jeunes?, elle part à la rencontre d'ados, en banlieue parisienne ou à Ouagadougou, pour revaloriser les initiatives, «mais sans faire de positivisme à tout crin»». Elle filme «pour contrebalancer ce que l'on voit à la télé». Faute d'audience, c'est elle qui démarche les «acteurs» de ses émissions, en rêvant du jour «où on [l]'appellera pour qu'[elle se]déplace». Convaincue de participer à une aventure «peut-être révolutionnaire», elle veut «mettre les gens en valeur». La WebTV? «C'est un peu comme les débuts du cinéma. J'ai l'adrénaline qui monte avant un reportage.» Plaisir de pionnier. |
Free Speech Une cinquantaine de programmes thématiques plutôt underground. The Sync Une Web TV, tendance MTV, pour internautes boutonneux. Pseudo Inspirée des services de messagerie et de dialogue. Live TV Annuaire des télévisions en direct sur l'Internet.Généraliste. Une trentaine d'émissions au menu. La Citoyenne Chaîne dédiée aux mouvements associatifs. Canal Atelier Extension de la TV en intranet de la socié. Ma télé interactive Films interactifs pour le Net. Medecine Net TV |
sur Canalweb «Je fais une télé pour moi» Par Rémy Fière «Venez vous faire couper les cheveux en direct, sur l'Internet. C'est gratuit, pour l'instant.» Ce soir-là, dans le studio transformé en salon de coiffure philosophique, Laurent-Laurent (attention, pseudo) reçoit Maria Cerquant, une ancienne voisine comédienne, retrouvée dans un café. Car Laurent-Laurent fréquente beaucoup les cafés. «Je suis un peu parasite, un peu oisif, je fais un peu de musique.» 45 ans, avoue-t-il, «mais mentalement, j'en ai 12». La télé sur le Web? «Ma femme connaissait la fille du beau-frère de quelqu'un qui avait entendu parler des projets de Canalweb.» Depuis juillet 1998, il en est devenu une figure incontournable. «Je fais une télé pour moi, c'est prétentieux, mais faire une télé pour les autres, c'est encore plus prétentieux.» Il refuse de savoir combien ils sont à se connecter tous les lundis soir. «Mais quand j'apprends que des gens ont de la sympathie pour ce que je fais, je suis ému jusqu'aux larmes.» Retournons à nos ciseaux. Tandis qu'Anne Fortin, la charmante coiffeuse qui vient tous les lundis de Saint-Leu-la-Forêt (Val-d'Oise) coupe et taille, la discussion s'envole entre l'invitée et l'invitant. «Comment peut-on s'imaginer, en voyant un vol d'hirondelles, que l'automne va arriver?», demande l'intervieweur. Question choc, question piège, ce sera le thème de la discussion. Le tout restant interactif. Car, à intervalles plus ou moins réguliers, Laurent-Laurent consulte son ordinateur et lit des questions reçues en direct. «Nico me demande: "Et la coiffeuse, quel est son sens?"» Vaste question. L'émission terminée, le rideau tombe: Anne Fortin confie que ce Nico est une connaissance. «C'est un pote, je l'avais prévenu. Apparemment, il a réussi à se connecter. La semaine dernière, il n'y était pas parvenu!».
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